Une table de déclinaison
Ora Adler part d’une forme primitive toute simple:
un élastique détendu trouvé par terre en position flottante, relâchée, et, en même temps, une onde sur l’eau,
flottante elle aussi. Une onde qui se propage, qui navigue plus loin, un chant qui monte, progresse. «Des mots pris», «des mots jetés en vrac», selon ses expressions et la poussière de latérite, terre ocre rouge comme la brique qui dessine en opacité poudreuse et pointilliste des formes laissées en creux.(Latérite vient d’ailleurs du latin
«later»: brique).
Intervalle, attaque, silence, deux sons à nouveau, silence, développement du thème:on retrouve tout un vocabulaire musical.
Ora Adler qui qualifie ses pièces «pas difficiles» a été musicienne avant de rencontrer la sculpture.
pour cette pièces-ci, elle a confié la musique à quelqu’un d’autre: Frédéric Aquavista.
Ses matrices en terre cuite sont soigneusement poncées et distribuées au sol de façon sérielle par ondes et strates successives comme une partition.
Non pas offertes au sol mais offertes «depuis le sol» et questionnées à partir de lui.
Installation «progressive» qui décolle lentement grâce à une subtile alternance de transparences, grâce à un dispositif de plaques de verre et d’opacité
formes de terre solide ou en poudre).
Un morceau de terre cuite limée, «abrasée», posé, simplement posé sur une bâche rugueuse comme pour une découverte capitale, comme une sentence suffisante: ponctuation,
mise au point pour induire, pour toucher à l’inconnu de l’expression.
Un langage simple donc, quasi sténographique mais qui décrit de façon rigoureuse comme dans la «tabula declinationis» de Bacon ou le «clinamen» d’Epicure, l’extraordinaire aventure de deux formes minimes qui vont se frôler puis s’agglomérer. L’espace est maîtrisé; utilisé pour rythmer, scander les progressions d’une écriture éminemment universelle. Grâce à une sorte d’archéologie à l’envers,
Ora Adler retourne vers une juste et forte sérénité.
Jean-Louis Vincendeau.